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Le magazineActivating Captions présente des textes d'écrivain.e.s sur l’art, d'universitaires et de poètes qui réfléchissent au sous-titrage à partir de perspectives et d'expériences personnelles. Lire la suite.

Selected article:

Raymond Antrobus

La Royal Opera House (avec légendes sur scène)

Une pièce de théâtre. Une distribution entièrement noire dans un township d'Afrique du Sud: nous les voyons chanter leurs chansons et jouer de leurs instruments. Nous suivons un garçon dans les townships, nous voyons sa mère tuée par des soldats rebelles, une nouvelle rive de sang s’accumule sur le sol, le garçon dort à côté du cadavre de sa mère.

[bruit de la pauvreté sans voix]

Nous voyons le garçon qui est sauvé par son oncle, mais celui-ci se fait tuer en essayant de protéger le garçon, nous voyons le garçon trouver sa cousine qui se débrouille seule et aide le garçon à contrecœur. Nous la voyons se faire tuer elle aussi.

[bruit du sang giclant dans l’air]

Nous voyons le garçon grandir dans la rue, apprendre toutes les langues et devenir un arnaqueur, un homme de la ville, nous le voyons épouser une femme qui ne veut de lui que pour son argent. Nous ne voyons pas d'où vient cette femme, ni ce qu'elle fuit ou ce dont elle pourrait être prisonnière.

[bruit d'un vide plus récent]

Nous voyons le garçon épouser la femme parce qu'il est tout feu tout flamme, nous voyons qu'il travaille fort et qu'il rêve encore plus ardemment, nous voyons le garçon traverser les frontières, essayant d'atteindre ce lustre, cet indice, cet atome sur la surface glacée que nous appelons l'Amérique.

[bruit du miroir refusant le reflet]

On nous demande d'avoir plus de compassion pour l'homme qui s'en sort vivant que pour n’importe quel individu prisonnier de la pauvreté, nous voyons son meilleur ami poignardé à mort lors d'un vol, nous voyons le garçon se blottir sur le cadavre de son ami, nous voyons tous ces corps dans la cour royale près du British Museum où, selon l’histoire, les corps noirs et bruns ont été exposés dans des zoos humains.

[bruit de l'aiguisage de l'anglais]

Nous ne voyons pas le pétrole, la compagnie Coca-Cola, les droits fonciers, les coups d'État, l'industrie de l'armement ou les sociétés pharmaceutiques. Nous ne voyons pas qui possède les navires, qui possède la terre, qui possède l'entreprise, qui possède la route. Nous ne nous embourbons pas dans des détails qui compliquent, nous ne voyons pas quel corps est abandonné dans le désert, ou dans la rue d'une ville ou dans un océan. Nous voyons des hommes sur la scène devenir des criminels en tirant d’un geste sec leur capuchon par-dessus leur tête.

[musique américaine]

Nous les voyons cacher leur visage, nous les voyons garder un pistolet ou un couteau dans leur poche, ou une dent en or dans leurs gencives. Nous voyons tous les corps noirs de cette pièce cacher l'homme blanc qui l'a écrite.

[bruit du futur en marche]

L'écrivain, éduqué à Rhodes et à Oxford, s'est en quelque sorte libéré de sa propre histoire. Nous entendons une réplique dans la pièce où le garçon, plus âgé maintenant, dit, juste avant de franchir la frontière américaine, Je vais écrire ma propre histoire

[chant ininterrompu]

et c'est là que tout le monde dans la Royal Opera House, Noirs, Blancs, peu importe, se lève et crie et hurle et applaudit et pleure et aucun des silences, aucun d'entre eux n'est rempli.

Raymond Antrobus est né à Londres d'une mère anglaise et d'un père jamaïcain. Il bénéficie d’une bourse Cave Canem et est l’auteur de The Perseverance et All The Names Given, tous deux publiés cette année aux États-Unis par Tin House. Son premier livre d'images pour enfants, Can Bears Ski? illustré
par Polly Dunbar, a été publié par Candlewick Press. Son travail a été présenté sur NPR, BBC, The Guardian, Lit Hub, POETRY Magazine, entre autres.