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Un homme regarde son propre visage

Un homme regarde son propre visage
Le rôle de l’Internationaal Cultureel Centrum (ICC) dans l'émergence de l'art vidéo en Belgique
Le phénomène de l’art vidéo fait encore l’objet d’une certaine mythification. À côté de la frustration presque évidente face à un médium nouveau et inconnu, le sentiment de malaise chez le spectateur est principalement dû à un modèle d'attente mal ajusté. Il s'attend à découvrir un mouvement artistique nouveau et cohérent. Selon moi, la responsabilité de ce malentendu incombe aux médiateurs, en particulier aux organisateurs d'événements et aux critiques qui ont présenté l’art vidéo comme tel au public.

Cette citation de Jan Debbaut émise dans le cadre de son article « Videokunst heeft nog geen plaats gevonden » (« L'art vidéo n'a pas encore trouvé sa place »), publié dans le magazine Streven en 1977, illustre la difficulté de replacer un nouveau médium dans le contexte des arts. À de nombreuses étapes de ce projet de recherche, nous avons été confronté·e·s à ce conflit. À quel moment situer le début de « l'art vidéo » ? Et plus important encore, que considérons-nous comme de l'art en tant que tel ?

Le projet de recherche « L'art vidéo en Belgique dans les années 1970 » esquisse le début de la découverte d'un nouveau médium : une période d'expérimentation et d'exploration. Comme le suggère Debbaut, le désir de créer un nouveau mouvement cohérent et concis est celui de nombreux critiques, théoriciens et chercheurs. Ce désir constitue toutefois un écueil lorsqu'on tente de condenser les mouvements et les expériences qui ont eu lieu en Belgique dans les années 1970. Un piège dans lequel nous avons tenté (souvent avec quelque frustration) de ne pas tomber. En nous éloignant d'une pensée dialectique structurée, nous avons plutôt cherché dans cette histoire les éléments qui auraient pu être significatifs et influencer le mouvement lié au médium.

L'un de ces éléments marquants est sans aucun doute l'Internationaal Cultureel Centrum (Centre Culturel International, ICC), situé dans le palais royal sur le Meir à Anvers. Le présent essai est une tentative d'esquisser différents mouvements dans lesquels l'ICC joue un rôle central, et la façon dont il s'inscrit dans le mouvement plus large de l'art vidéo en Belgique dans les années 1970. Cet essai se veut non pas un récit clair ou cohérent, mais plutôt une description des ingrédients liés à l'ICC qui, selon moi, ont eu un impact sur la manière dont l'art vidéo a illuminé les écrans belges et internationaux. Ces ingrédients sont classés en trois catégories : l'institut, la technologie et la géographie.

Outre les recherches dans les archives, les entretiens menés avec des personnes ayant joué un rôle clé dans cette histoire ont constitué un fondement très important du projet de recherche. Ils ont permis de faire le lien entre les différentes traces et vidéos que nous avons rencontrées. Nous avons rapidement appris qu'une grande partie de ce récit est étroitement liée à l'esprit du temps. Bon nombre des expositions qui ont eu lieu à l’ICC ont été planifiées dans des cadres informels, comme le café Hotsy Totsy à Gand, ou lors de rencontres fortuites. Dans les années septante, les contacts entre les artistes, les commissaires et les institutions étaient souvent plus informels et plus directs. Un repas en guise de paiement, une caisse de bière échangée contre la peinture de la camionnette qui hébergera la Continentale Film & Videotoer... Tout cela était courant. Ce laisser-faire économique est un facteur important, mais il peut aussi rendre difficile la traçabilité de cette histoire.

En même temps, le défi qu’elle représente a prouvé la valeur du projet de recherche aujourd'hui. Au fil du temps, une grande partie de cette histoire prend forme avec les personnes qui sont encore là pour raconter leurs expériences et donner un contexte aux œuvres qu'elles ont créées. Les entretiens que nous avons menés jettent un éclairage sur l'environnement qui a accueilli ce nouveau médium de la vidéo en Belgique. L’objectif de ce projet de recherche n’a pas été de créer une histoire déterminée de l'art vidéo en Belgique, ni de la considérer comme un point final fixe. Il s'agissait plutôt de découvrir non seulement les artistes et les vidéos qu'ils ont réalisées, mais aussi le contexte dans lequel la vidéo est devenue un moyen d'expression artistique en Belgique. Les conclusions ne sont que des débuts qui, nous l'espérons, donneront naissance à de nouvelles histoires, de nouveaux récits et de nouvelles œuvres d'art.

L'INSTITUT

Experiments for Autocommunication, Hubert Van Es, 1975

Un homme fixe la caméra. Cette image est remplacée par une vue de l'arrière de sa tête. Il fixe un écran de télévision. Il s'approche et s'éloigne de l'écran. Lorsque l'arrière de sa tête s'éloigne, son visage apparaît sur l'écran de télévision. Suit un fondu enchaîné dans lequel on voit deux mains qui tentent de cadrer l'écran de télévision. Ses mains dessinent le contour de son visage tel qu'il apparaît à l'écran. La bande sonore fait entendre une voix basse, incompréhensible et déformée. La scène suivante montre un homme couvrant son visage de ses mains. On passe ensuite au plan d'un écran de télévision vertical où l'on voit la même image. Différentes couches de mains sont montrées l'une sur l'autre. La scène suivante montre le profil d'un homme, sautant du côté gauche au côté droit de l'écran. La bande sonore est un air de piano. Le même homme est montré à la fois du côté gauche et du côté droit de l'écran. Un homme regarde son propre visage, il tente de l'embrasser.

« Il ne se passe jamais rien à Anvers ! »

Experiments for Autocommunication, réalisée en 1975, est l'une des premières vidéos créées dans le studio de production Continental Video. Les deux hommes qui apparaissent à l'écran sont Flor Bex et Chris Goyvaerts, filmés dans les caves de l’Internationaal Cultureel Centrum (ICC). L'ICC, un institut d'art moderne hébergé dans le palais royal du Meir entre 1970 et 1998, a été fondé en 1969 à l'initiative du ministère de la Culture flamand, à la suite de plusieurs mouvements agitant le paysage culturel belge. L'un de ceux-ci a conduit à l'occupation du KMSKA (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten) par le groupe VAGA (Vrije Actiegroep Antwerpen).

Au lendemain de Mai 68, un groupe d'artistes, dont Panamarenko, Hugo Heyrman et Jef Verheyen, s'intéressent à différentes questions sociales et culturelles dans le paysage urbain d'Anvers et, plus largement, de la Belgique. Ils s’interrogent entre autres sur l'absence d'un institut d'art contemporain dans le pays. Dans les pays voisins, des villes comme Amsterdam et Paris abritent déjà des institutions telles que De Appel et, suite à la promesse du président Georges Pompidou, la construction du Centre Pompidou a déjà commencé à Paris. En réaction, VAGA diffuse son pamphlet avec la devise « Er gebeurt nooit iets in Antwerpen ! » (« Il ne se passe jamais rien à Anvers ! ») beeldmateriaal. Attirant rapidement l'attention des médias, cette action est reprise au niveau politique et catalyse le débat sur la nécessité d'un institut d'art contemporain en Belgique. Après de nombreuses discussions, Frans Van Mechelen, alors ministre de la Culture, se voit offrir la possibilité d'installer un nouveau centre culturel dans le palais royal d'Anvers.

Ludo Bekkers, critique d'art et programmateur pour la BRT, spécialisé dans la réalisation de programmes artistiques est nommé fondateur et directeur de l'ICC. Sa carrière a débuté à la radio où il a été directeur et animateur de plusieurs programmes. Il est ensuite passé à la télévision, où il a réalisé des programmes sur les arts, la photographie et l'architecture. Il est important de noter la vision démocratique de l’art contemporain adoptée par Bekker et son désir de créer un espace mobile et dynamique où s’entrecroisent de nombreuses formes d'art différentes. L'un des points importants de sa politique consiste à qualifier l'Institut de centre culturel plutôt que de musée, dans le but de créer un espace plus ouvert et démocratique. Dès ses débuts, l'ICC s’efforce toujours de présenter simultanément deux ou trois expositions de photographie, sculpture, peinture, performance... L'emplacement stratégique de l'Institut, au milieu de l'une des rues les plus fréquentées d'Anvers, le rend accessible tant aux amateurs d'art moderne qu'aux passants curieux. Bekker organise des concerts et des projections de films afin d'attirer un public aussi large que possible. Il considère le film comme un moyen de communication démocratique capable d’intéresser de nombreux types de personnes. Cependant, ses idées ne rencontrent pas toujours le soutien politique escompté, comme en témoigne le faible montant des subventions allouées à l'Institut. En 1972, deux ans après avoir jeté les bases de l'ICC, le mandat de Ludo Bekker prend fin. Motivé surtout par la frustration qu’il éprouve face au maigre budget de fonctionnement alloué à l’ICC, il refuse de renouveler son mandat et retourne à son ancien poste de travail à la BRT.

« Qui a besoin d’un nouveau bureau chaque année ? »

Le poste de Ludo Bekker étant vacant, l’Institut part à la recherche d'un nouveau directeur. Parmi treize candidats, Flor Bex, qui travaille déjà comme collaborateur scientifique de l'ICC, est choisi pour être le nouveau directeur du centre culturel. Bex s’aligne sur la vision démocratique de Bekker sur l'art contemporain, mais montre plus d’empressement à inviter des artistes de renommée internationale à exposer au centre culturel. Ses contacts étroits avec le circuit des galeries en Belgique, telles que Wide White Space et Gerry Shum, l'ont mis en contact avec les œuvres d'artistes contemporains émergents comme Joseph Beuys, qu’il souhaite présenter dans une exposition à l’ICC. Bex engage alors les commissaires Claude Devos et Jan Debbaut qui l'aident à organiser les expositions et la production au centre culturel. Durant sa première année en tant que directeur en 1974, il monte avec Claude Devos une exposition autour de la peinture et de la sculpture flamandes contemporaines avec des artistes tels que Raoul de Keyser, Hugo Duchateau, Filip Francis et Jef Geys. Il fait aussi venir au centre culturel des artistes internationaux tels que Duane Michals et Pieter Engels, et promeut des artistes belges dans ses réseaux internationaux.

Sans le luxe du courrier électronique et d’Internet, les gens sont plus enclins à voyager pour rencontrer des artistes, des conservateurs et des collectionneurs en personne. Les réseaux se créent dans les bars et dans les événements sociaux. Tel que mentionné dans l'introduction, le Hotsy Totsy, un café appartenant au célèbre auteur belge Hugo Claus, est alors un lieu important pour les arts contemporains en Belgique. C'est là que Jan Debbaut, qui deviendra plus tard conservateur pour l'ICC, rencontre des artistes comme Joseph Kosuth, John Baldessari, Art & Language, Sol Lewitt et Carl André. (interview de Jan Debbaut) Par le biais des Rencontres ouvertes sur la vidéo, sur lesquelles je reviendrai plus tard, des journées de réseautage sont créées afin que les artistes vidéo, les théoriciens et les conservateurs puissent débattre de la vidéo dans différents lieux, ce qui va contribuer de manière cruciale à l'émergence de ce médium dans les arts.

Afin d'organiser des expositions plus nombreuses et de meilleure qualité à l'Institut, Bex trouve des solutions pour accroître les moyens financiers et de production de l'ICC. Il travaille avec des objecteurs de conscience qui sont payés par la protection civile plutôt que par les fonds de l'institution. Certains d'entre eux, comme Chris Goyvaerts, Chris Eeckhardt et Frank Van Herck, deviennent des assistants techniques pour le futur studio Continental Video. Bex crée différentes organisations sans but lucratif consacrées au cinéma, à la photographie et à l'architecture. Ceci afin d’instaurer une plus grande autonomie financière et de ne pas être obligé d’argumenter pour chaque dépense auprès de l'administration. Il inscrit officiellement dans ses dépenses des bureaux et du mobilier de bureau, mais en réalité, il dépense cet argent en cassettes vidéo et autres équipements. « Qui a besoin d'un nouveau bureau chaque année ? » (interview vidéo de Flor Bex). La première caméra qu'il achète est officiellement inscrite comme un meuble. En fondant le studio vidéo Continental Video, Flor Bex met aussi sur pied une association à but non lucratif, ce qui lui permet d'être plus libre dans ses dépenses.

Musée mobile pour médias modernes

Un événement clé pour l'introduction de la vidéo à l'ICC est la Continentale Film & Videotoer (1973), une tournée organisée par les membres d'ARFO (La Fondation des artisans), Hugo Heyrman, Luc Deleu, Chris Goyvaerts, Wout Vercammen, Ludo Mich et Robbe de Hert. L’ARFO est une organisation socioculturelle fondée par Hugo Heyrman à Anvers en 1971. L'objectif de la tournée est de créer un musée mobile pour le cinéma expérimental et l'art vidéo. Luc Deleu, qui a une formation en architecture, fait des recherches sur l'architecture mobile et génère ainsi les plans d'un musée mobile des médias modernes. Comme l’explique Goyvaerts:

au départ, il s'agissait de rénover un camion pour en faire une salle de cinéma. Nous avons trouvé un vieux véhicule de démonstration de Tomado, un Mack Lanova. Un membre de la famille m'a mis en contact avec quelqu'un qui possédait une grande entreprise à Anvers fabriquant des camions. Là, j'ai fait peindre le camion en blanc pour 500 francs et une caisse de bières. Normalement, cela aurait coûté une fortune, nous n'aurions pas pu nous le payer

Le résultat est un bus dans lequel une trentaine de personnes peuvent s'asseoir. À l'arrière, il y a un projecteur 16 mm prêté par le service cinématographique du ministère de la Culture. Des haut-parleurs externes diffusent la bande sonore du film à l'extérieur du bus. En raison de problèmes techniques, la Fondation Artworker ne réussira jamais à montrer de l'art vidéo dans le camion, mais elle fait une tournée en Belgique et aux Pays-Bas avec des films expérimentaux et politiques de réalisateurs tels que Raoul Servais, Norman McLaren, Robbe De Hert, Ludo Mich, Patrick Conrad, Frans Buyens, Aimé Vercruysse, George Smits, Willy Verlinden et Jacques Charlier.

Les films sont offerts par différentes ambassades, les organisations Fugitive Film, plusieurs autres maisons de production indépendantes et d'autres jeunes cinéastes. La première étape de la tournée est l’ICC, un passage crucial pour le développement ultérieur du projet, car il leur permet d'entrer en contact avec Flor Bex. En l'espace de deux mois, la camionnette va faire le tour de différentes villes, dont Turnhout, Breda, Eindhoven, Rotterdam, Hasselt, Louvain, Bruxelles et Gand. La Continentale Film & Videotoer jette ainsi les bases de Continental Video, un studio de production installé dans les caves de l'ICC. Il s'agit du premier studio vidéo librement accessible aux artistes belges et étrangers désireux de découvrir et d'utiliser ce nouveau médium dans leur pratique artistique.

Five Acts on Screen, Mark Verstockt, 1975

À la fin de la tournée, Chris Goyvaerts est appelé à effectuer son service militaire, mais choisit de devenir objecteur de conscience. Flor lui propose de travailler pour lui à l’ICC. 'À un moment donné, j'ai fait venir Chris Goyvaerts et lui ai demandé : ‘Qu'est-ce qui t’intéresse ?’ Apparemment, il s'intéressait à la vidéo. J'ai alors décidé d’acheter une caméra.' (interview vidéo de Flor Bex) Ils commencent dès lors à expérimenter. La première œuvre vidéo qu'ils réalisent avec cette caméra est Five Acts on Screen de Mark Verstockt.

Le premier Portapak

Comme nous le raconte Jan Debbaut, critique d'art et ancien conservateur de l’ICC : « Tout a commencé par cette idée : il nous faut un magnétoscope pour documenter toutes les performances. Lorsque le magnétoscope est arrivé, nous avons commencé à expérimenter ». En 1974, Flor Bex investit dans le premier Portapak de Sony, un module d'enregistrement et une grande caméra noir et blanc. Beaucoup des premières vidéos que nous découvrons sont en effet des documentations d'installations d'exposition et de performances. Mais peu après son arrivée, nous assistons à des expérimentations avec le médium vidéo qui donnent, par exemple, Experiments for Auto-Communication (1975) de Hubert van Es et Chris Goyvaerts, dont il est question dans l'introduction de cet article. 'Essayez de vous embrasser vous-même. Essayez d'entrer en contact avec vous-même et de vous embrasser. Alors vous ferez l'expérience de l'impossibilité d'entrer en contact' (interview vidéo Flor Bex). Avec Experiments for autocommunication, van Es et Goyvaerts explorent les nouvelles possibilités et les limites de la vidéo.

Hubert van Es est en réalité le pseudonyme sous lequel Flor Bex réalise son propre travail artistique. Avant de devenir directeur de l'ICC, Bex a déjà des œuvres à son actif, mais il crée ensuite sous le pseudonyme de van Es. Hubert est le deuxième prénom de Flor Bex et van Es dérive de la première partie du nom de jeune fille de sa mère, Van Esbroek. Sa double identité va rester secrète pendant de nombreuses années, après quoi son rôle jumelé d'artiste et de directeur de musée sera fortement critiqué. Des bandes d’enregistrements sont présentées à des festivals nationaux et internationaux par Flor Bex sous le nom d'Hubert van Es. De nombreux artistes et autres personnalités lui reprocheront d'avoir trop de contrôle sur l'opinion publique de ses œuvres en tant qu'artiste et directeur de musée. Néanmoins, les œuvres d'Hubert van Es témoignent d'importantes expériences formelles avec la vidéo. Son œuvre Waterfire (1975), par exemple, montre simplement la cascade de Coo, mais placée à la verticale. En raison du coucher de soleil, une couleur rouge-orange est projetée sur la cascade. Ses expériences remettent en question la perception du médium vidéo : ses limites comme ses possibilités. Au cours de notre recherche, nous avons considéré ces types de travaux comme des expériences utopiques avec la vidéo, axées sur le potentiel du support.

La même année, Flor Bex est nommé commissaire de la section vidéo d'EXPRMNTL 5 par Jacques Ledoux. Par un matin pluvieux, devant le Casino de Knokke où se tient le festival, Flor Bex rencontre Nam June Paik. De nombreux réseaux importants vont se créer lors de ce festival. Pour une discussion plus détaillée sur le rôle du EXPRMNTL, je me réfère à l'essai de Xavier de Garcia.

Art en échange de bandes mères

Tout artiste ayant une idée de vidéo est invité à la réaliser au studio de production Continental Video. Il appelle Flor Bex ou Chris Goyvaerts pour leur en parler et prend rendez-vous. Avec les assistants, les artistes trouvent le moyen de transformer leurs idées en bandes. La bande mère reste à l'ICC, accompagnée d'un contrat accordant des autorisations d'exposition à l'Institut. Les artistes reçoivent trois copies de la bande mère. Il y a des exceptions, notamment dans le cas des Hommages de Lili Dujourie, pour lesquels l'artiste préfère travailler seule. Frank Van Herck, qui travaille chez Continental Video en tant qu'objecteur de conscience, emporte souvent la caméra chez lui pour faire des expériences et des croquis pour des œuvres vidéo. Il revient le lendemain au studio pour réenregistrer ses vidéos de manière professionnelle. 'C'est ce qui me plaisait vraiment dans le médium vidéo : on pouvait les voir tout de suite. Avec les bobines ouvertes, on pouvait même tourner avec son doigt, en avant et en arrière. Maintenant, c'est fermé et on ne peut plus y accéder. C'est ça, l'évolution'.

Vers 1975, de nombreuses expositions organisées à l'ICC sont accompagnées de vidéos, tenant lieu soit de moyen de documentation, soit d’œuvres d'art autonomes. Goyvaerts évoque avec Jan Debbaut la possibilité de réaliser des interviews avec chaque artiste ayant exposé à l'ICC, mais ce projet ne sera jamais réalisé. Comme Jan Debbaut le mentionne dans son article « Some Notes on Video Art in Belgium » (Debbaut 1976, 273-275), l'une des principales raisons d'acheter une caméra est aussi de documenter les nombreuses performances présentées à l'ICC. Dans son livre Beeldenstorm in een Spiegelzaal, Johan Pas observe que « la réflexion et le narcissisme constituent des aspects cruciaux de la pratique artistique conceptuelle et corporelle des années 1960 et 1970, qui se déroulait notamment à l'ICC » (Pas 2005, 26). Cela explique non seulement le grand nombre de performances artistiques qui ont lieu à l'ICC au milieu des années 1970, mais aussi le fait que les artistes sont le sujet principal de nombreuses vidéos produites. Il en résulte en même temps la difficulté de distinguer les performances documentées des œuvres vidéo. Comme le remarque Dagmar Dirkx dans son essai 'THE 1970s___ », « la vidéo était une réflexion après coup, une note de bas de page'. La plupart des vidéos sont réalisées en tant que moyen pour parvenir à une fin.

674 vidéos

Au début de ce projet de recherche, on m'a aimablement fourni une liste des vidéos de l'ICC dont le Musée d’art contemporain d’Anvers (M HKA) a hérité, ainsi qu'un accès aux archives de l'ICC. Les vidéos sont numérisées et conservées par le M HKA, mais elles n’ont pas été systématiquement répertoriées en détail. Au total, la liste comprend 674 titres de vidéos réalisées entre 1972 et 1989, dont environ cent l’ont été par Continental Video. Les autres vidéos sont des dons ou des échanges réalisés par d'autres artistes et institutions. Il y a des vidéos qui sont à l'évidence des documentations de performances et d'expositions, mais d'autres dans lesquelles l’intention derrière l’enregistrement n’apparaît pas clairement. Bien que l'artiste soit souvent le sujet principal de son travail vidéo, il devient difficile de distinguer ce qui est fait en tant que performance et ce qui est fait en tant qu'art vidéo. Dans certains cas, la même vidéo se retrouve plusieurs fois dans la collection avec des modifications mineures, des versions différentes de la même œuvre. Les archives contiennent aussi des traces de plans pour une vidéothèque, où les bandes seraient mises à la disposition du public. Des recherches approfondies nous amènent à conclure que la vidéothèque n'a jamais été officiellement réalisée. Cependant, tous les deux mois, l'ICC a produit des brochures résumant chaque production créée par Continental Video. Ces brochures donnent un bon aperçu des artistes qui ont produit des vidéos dans ce studio.

NOUVELLE TECHNOLOGIE

LUVOX

En comparaison avec les pays voisins, la vidéo est arrivée assez tard en Belgique. Dans son article publié dans Studio International, Jan Debbaut conclut que c'est parce qu'il n'y avait pas de matériel d'enregistrement susceptible d’être emprunté par les artistes. Cela a changé avec la création du studio de production Continental Video dans les caves de l'ICC. Il explique : 'L'introduction relativement tardive du matériel vidéo en Belgique (par rapport aux autres pays européens), notamment dans l'infrastructure culturelle, a eu un impact direct sur la qualité et la quantité des œuvres réalisées' (Debbaut 1976, 273-275). L'accès à un matériel adéquat est crucial pour la réalisation d'œuvres vidéo, mais le matériel n'est pas facilement disponible, surtout pour les artistes. De plus, il est délicat et coûteux.

Entre autres sources, Flor Bex achète et prête du matériel vidéo à LUVOX, une société appartenant à Lu Van Orsenhoven. LUVOX loue et vend du matériel vidéo à des professionnels du secteur des médias. Comme l'explique Debbaut:

En fait, on pourrait décrire les débuts de l'art vidéo en Belgique comme une relation triangulaire. Il y avait Flor Bex avec son réseau ; Lu Van Orsenhoven de LUVOX où Continental Video avait ses entrées ; et puis il y avait le studio au sous-sol de l'ICC. Cela explique le matériel, les logiciels, les personnes et le budget de l'ICC. Ce triangle a fait émerger la vidéo.

LUVOX va jouer un rôle important parce qu'ils ont passé des accords intéressants avec le studio de production. Les fonds pour louer du matériel là-bas ne sont pas suffisants, mais Van Orsenhoven est conscient que l'expérimentation de son matériel par des artistes lui enseignera aussi différentes techniques en vidéo, qu'il pourra ensuite utiliser pour promouvoir son matériel auprès de nouveaux clients. 'Aujourd'hui, dans une entreprise, on appellerait ce domaine ‘recherche et développement’.

Une relation étroite existe entre LUVOX et les assistants techniques de Continental Video. Lorsque ceux-ci terminent leur service en tant qu'objecteurs de conscience et ne peuvent plus être payés par le gouvernement pour travailler pour l'ICC, ils commencent à travailler pour Van Orsenhoven. Même pendant leur séjour à l'ICC, ils apportent souvent leur aide aux productions de LUVOX. Les connaissances acquises sur le terrain sont ensuite ramenées au studio afin d'aider les artistes dans leurs productions. En 1976, environ quatre-vingts pour cent des productions vidéo belges seront réalisées dans le studio de Continental Video.

Tu ne veux pas faire une vidéo ?

Malgré leur grand savoir-faire technique, les assistants techniques de Continental Video sont souvent confrontés aux défis posés par les idées extravagantes des artistes.

Ils arrivaient avec une idée, puis nous explorions ensemble les possibilités. Certains étaient très raisonnables, comme Nyst. Tout ce dont nous avions besoin était : une caméra, une feuille de papier, des crayons, quelques objets et c'était tout. D'autres vous prenaient un bras quand on leur donnait une main. Un film avec Byars, par exemple, a été incroyablement difficile à réaliser. Obtenir une image fixe et immobile représentait un très grand défi à l'époque. Un arrêt sur image n'était pas une image arrêtée, c'était une image tremblante.

L'idée d’une œuvre vidéo consistant à lancer une caméra du troisième étage d'un immeuble est aussi avancée, mais ne sera jamais réalisée.

Au début de l'art vidéo, au niveau international, Debbaut distingue deux mouvements:

D'un côté, vous aviez des artistes comme Nam June Paik qui expérimentaient un nouveau médium. Il s'agit d'appuyer sur des boutons et de tourner des roues pour voir où le médium peut vous mener. D'autre part, il y avait des artistes comme Lili Dujourie qui utilisaient la vidéo uniquement comme documentation d'une performance, dont les <i>Hommages à</i>.

De nombreuses vidéos créées dans les années 1970 appartiennent à la première catégorie, celle des artistes qui explorent les possibilités du nouveau média. Pas n'importe quel nouveau support, mais un support facilement reproductible et utilisé pour la production de masse.

Leo Copers l’observe : 'Elle venait d'être inventée, la vidéo. Ils sont venus et m'ont demandé : ‘Tu ne veux pas faire une vidéo ?’ Il aurait été stupide de refuser'. Pour lui, le médium vidéo se décrit comme un tube de peinture. On l’utilise et on essaie d'en faire quelque chose. La découverte de la vidéo en tant que médium a aussi signifié la découverte d'un tout nouveau langage et d'un ensemble d'outils avec lesquels l'artiste peut travailler. Les deux sont de nature technique : l'aspect d'une réflexion directe qui n'est pas possible avec le film, le bruit de la neige, la maniabilité d'une caméra vidéo qui amène le monde extérieur à l'intérieur. Mais aussi certains aspects liés au contenu, comme la référence à la télévision et aux médias de masse.

Dans son essai, Debbaut écrit : 'La plupart d'entre elles n'ont pas pu être réalisées, ou l'ont été dans des circonstances techniquement malheureuses. L'équipement des musées, des académies ou des galeries étant insuffisant, l'engagement de matériel plus sophistiqué handicape de telles œuvres', Debbaut 1976, 273-275). Malgré l'étroite collaboration avec LUVOX, le studio de l'ICC n'était pas suffisamment équipé pour réaliser tout le potentiel de l'art vidéo en Belgique. Comme d'autres articles le mentionnent, il y aura aussi des collaborations avec la RTBF, mais en général le soutien technique reste très rare.

Fin d’une époque

Après la découverte des nombreuses possibilités du film, de nombreux artistes utilisent la vidéo le plus souvent pour relater une histoire ou un discours. C'est là que Bex commence à se désintéresser de la vidéo car, selon lui, les utilisations du médium ne sont plus innovantes, l'utopie est perdue. Plutôt que de servir à des expériences techniques ou substantielles, la vidéo est utilisée de manière similaire au film narratif. Un exemple de vidéo qui franchit les limites est Lysistrata (1976) de Ludo Mich, un long métrage de soft porn tourné en vidéo dans les caves de l’ICC. Lysistrata s'inspire de la comédie classique (féministe) d'Aristophane, mais tous les acteurs sont nus. L’intention est de souligner les idées anarchistes d'Aristophane.

GÉOGRAPHIE

Artistes internationaux en Belgique

Comme nous le raconte Jan Debbaut, 's'il y avait 100 personnes occupées par la vidéo en Europe, c'était déjà beaucoup'. Tout le monde se connaissait. S’il y avait un grand événement artistique, les gens réunis avaient alors de fortes chances de s’être déjà rencontrés auparavant. Ils avaient l’habitude de correspondre, mais la plupart des arrangements se faisaient en face-à-face. Lors de voyages destinés à l’organisation d’expositions, les membres de la scène artistique sont alors couramment introduits dans les réseaux des autres. L'une des aspirations de Bex pour l'ICC est de créer un lieu proéminent et important pour l'art contemporain en Belgique. Comme nous l'avons déjà mentionné, grâce à son réseau dans le circuit des galeries, Bex entre en contact avec des artistes tels que Joseph Beuys. En 1975, il programme Dan Graham, Lea Lublin, Michael Druks, Gerald Minkoff, Fabrizio Plessi, Christina Kubisch et Sosno, qui travaillent avec la vidéo dans leurs expositions. Certains de ces artistes ont également créé de nouvelles productions à l'ICC avec Continental Video. Ce ne sont pas les premières expositions consacrées à la vidéo, puisqu'il y en a eu d'autres dans des galeries comme la galerie Elsa Von Honolulu. Mais elles sont accessibles à un public plus large, et grâce aux idéaux démocratiques du centre culturel évoqués plus haut, ces expositions rejoignent un public plus large que les galeries qui sont plus axées sur la sphère privée et les cercles intimes. Il n'est pas possible de mesurer directement la manière dont ces expositions influencent l'art vidéo belge, mais elles ouvrent le médium vidéo à un public belge. En 1975, onze artistes belges ont produit des œuvres avec Continental Video : Leo Copers, Pierre Courtois, Jacques Lennep, Jacques Lizène, Filip Francis, Hugo Heyrman, Danny Matthys, Hubert van Es, Guy Mees et Ludo Mich.

Belgium international

Lorsqu'une cassette est produite par Continental Video, la cassette mère est donnée à l’ICC en échange de la production. Une partie de l'accord de production prévoit que l'ICC a le droit d'exposer les cassettes et de les distribuer. L'avantage de la vidéo est que les cassettes peuvent être copiées facilement, et Bex les envoie donc souvent à des festivals et à des événements dans le monde entier. En raison de la reproductibilité technique du support, les cassettes suivent souvent leur propre chemin au niveau international. Cela donne de la visibilité à l'art vidéo belge au-delà des frontières du pays. Les Rencontres ouvertes sur la vidéo, organisées par Jorge Glusberg, constituent un événement important qui vise à créer des réseaux internationaux autour de la vidéo.

Trafic de caméras

En 1974, Bex rencontre Jorge Glusberg, un artiste, homme d'affaires, auteur, conservateur et professeur argentin. Il est l'un des fondateurs et le directeur du CAYC (Centro de Arte y Comunicación). Glusberg est aussi propriétaire d'une entreprise qui vend des appareils électroniques et du matériel vidéo en les copiant d'autres marques. Son double rôle de propriétaire d'entreprise et de directeur rend le médium vidéo accessible aux artistes latino-américains associés au CAYC. Ce n'est donc pas un hasard si le CAYC devient l'un des principaux centres d'exploitation du médium vidéo en Argentine et en Amérique du Sud. Glusberg organise des Rencontres ouvertes sur la vidéo pour discuter de l'utilisation du médium à un niveau international, un sujet sur lequel je reviendrai plus tard.

Jorge Glusberg accueille artistes et intellectuels dans sa maison, qui devient un refuge pour les discours artistiques et politiques. Le programme du CAYC comprend des conférences et des expositions de personnalités de renommée internationale telles que Jorge Luis Borges, Lucy Lippard et Umberto Eco. Le centre est surtout axé sur la communication, l'architecture et les arts visuels. Comme pour l'ICC, Glusberg invite au CAYC aussi bien des artistes argentins que des artistes internationaux. Non seulement il fait venir des artistes internationaux au Centre en Amérique latine, mais il s'efforce aussi de promouvoir les artistes latino-américains à l'étranger. Cela se traduit par l'exposition Kunstsystemen in Latijns Amerika à l'ICC en 1974, qui a permis à cinquante artistes, dont Glusberg lui-même, d'y exposer leurs œuvres.

Dans sa contribution au catalogue, Glusberg écrit :

Le processus culturel de l'Amérique latine diffère de celui des pays du premier monde ; nous pouvons dire que les pays d'Amérique latine, qui appartiennent à ce que l'on a appelé le tiers-monde, se caractérisent par la domination, le sous-développement et l'expression de cette domination et de ce sous-développement à différents niveaux : politique, social, culturel, institutionnel et artistique. (...) Le développement culturel de l'Amérique latine est étroitement lié à une quête qui ne se fera pas sans la suppression de la domination extérieure. On peut donc parler d'un art de la domination des pays qui ont le pouvoir et la richesse.

Cette citation, écrite à titre de contribution artistique au catalogue, souligne la nécessité de l'échange culturel entre les différentes nations et les différents continents, en remettant en question les cadres dans lesquels les artistes et les institutions fonctionnent et les mécanismes qui écartent l'art produit par les nations non occidentales.

Le texte d'introduction, également rédigé par Glusberg, clarifie et développe cette notion. Il décrit comment il a demandé à chaque artiste participant de rester dans les limites des restrictions 4504 et 4508 de l'IRAM (Institut argentin pour la rationalisation des matériaux). Pour cette organisation indépendante chargée de réglementer les normes techniques en Argentine, le 4504 fait référence au format de la page, que les normes occidentales reconnaissent comme A4, et le 4508 fait référence à un ensemble de guides et de repères utilisés pour indiquer les sections et les coupes dans les dessins techniques. Ces guides font partie de toutes les contributions au catalogue de l'exposition. La référence de Glusberg à l'IRAM découle de l'accent mis sur la communication qui fait partie intégrante de la philosophie du CAYC, mais il s'agit aussi d'une référence claire aux systèmes dominants en Occident qui ne sont pas aussi évidents ou accessibles dans des endroits comme l'Argentine ou l'Amérique latine. L'année où cette exposition a lieu, l'Argentine, le Brésil, le Pérou et l'Uruguay sont sous domination de l'armée. L'accent mis sur la communication est une réaction à l'oppression vécue sous ce régime, mais aussi aux séquelles de la domination coloniale en Amérique latine. Le pas en direction de l'art vidéo est donc logique, tout comme l’expertise acquise par Glusberg et l’intérêt économique du médium à ses yeux.

Parallèlement à l'exposition s’organise l'événement Videotapes van de coöperatieve Third World Edition qui présente à cette occasion les œuvres vidéo réalisées dans le cadre de l'exposition. Parmi les artistes invités figurent : Luis Pazos, Hector Puppo, Jorge Gutierrez, Edgardo A. Vigo, A. Alvarez, Z. Corrdia, D. Gomez, Enrique Torres, Jorge Velturtas, Jaime Davodavich, Juan Carlos Romero et Eduardo Leonetti.

Plus tard, Glusberg sera envoyé en prison en raison de ses prises de positions dans les arts, le gouvernement argentin considérant son activisme politique comme une menace. Roger D'Hondt raconte : 'Avec quelques autres personnes en Europe, nous avons envoyé un télégramme au président de l'Argentine. J'ai écrit des lettres au sujet de Glusberg et, ensuite, il a été libéré'.

Rencontres ouvertes

Après avoir organisé l'exposition Aspekten van de Belgische Kunst in Argentina (Aspects de l’art belge en Argentine) en 1974, Jorge Glusberg et Flor Bex organisent la cinquième Rencontre ouverte sur la vidéo à l'ICC. Les « Open Encounters » consistent en une série d'expositions et de congrès dédiés à la vidéo en Europe et en Amérique du Sud. Il (((QUI?)))« a développé, dans la seconde moitié des années 1970, une stratégie internationale pour propager et médiatiser l'art vidéo. » Au total, il y a eu dix rencontres internationales ouvertes sur la vidéo entre 1974 et 1978. La première a eu lieu en 1974 à Londres à l'ICA (Institute of Contemporary Arts), la deuxième la même année à Paris à l'Espace Pierre Cardin, la troisième en 1975 à Ferrera à la Galleria Civica d'Arte Moderna, la quatrième rencontre a eu lieu la même année au CAYC de Buenos Aires. La cinquième a lieu en 1976 à l'ICC à Anvers, la sixième la même année à Caracas au Musée d'art contemporain. La septième a pris place en 1977 à la Fondation Joan Miró à Barcelone. Les deux éditions suivantes se sont déroulées à la Continental Gallery de Lima et au musée Carrillo Gil de Mexico. La dernière édition, en 1978, a lieu au Sogetsu Art Center de Tokyo.

Très souvent, Glusberg organise l'exposition Art Systems in Latin America dans les mêmes institutions que pour les Rencontres ouvertes sur la vidéo. L'exposition et les rencontres poursuivent la même mission : confronter les pratiques artistiques européocentrées à celles de l'Amérique latine. La cinquième rencontre à Anvers a présenté un vaste éventail d'artistes de pays du monde entier, notamment l'Argentine, l'Autriche, l'Australie, la Belgique, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Danemark, l'Angleterre, la France, l'Allemagne, l'Italie, Israël, le Japon, la Corée, le Mexique, la Hollande, la Pologne, Porto Rico, l'Espagne, la Suède, la Suisse, les États-Unis, le Venezuela et la Yougoslavie. Les vidéos soumises sont présentées en boucle et le programme de l’exposition inclut différentes conférences sur le médium vidéo. Parmi les artistes belges, certains ont déjà participé à la deuxième rencontre ouverte en 1975 : Groupe CAP, Jacques Lizène et Hubert van Es. Lors de la troisième rencontre à Ferrera, Bex a été invité en tant que panéliste avec Claude Devos et Jacques Lennep, et quatorze artistes de la vidéo belges ont participé à cette rencontre. La plupart des œuvres réapparaissent lors de futures Rencontres ouvertes.

La cinquième Rencontre ouverte sur la vidéo est organisée à l'ICC à Anvers. L'article Video in musea en culturele centra décrit:

L’objectif principal de ce séminaire est 1) de familiariser le personnel des institutions et services ciblés avec le médium vidéo et de les amener à travailler avec celui-ci, 2) de créer une discussion ou une opportunité autour de la possibilité d'utiliser ce médium dans les musées et les centres culturels. Dans les activités de cette journée d’étude, nous faisons donc une distinction entre 1) la matinée, qui propose une invitation sous la forme de quatre courtes présentations, et 2) l'après-midi, qui offre des possibilités de questions donnant lieu à un débat.

Les Rencontres ouvertes sur la vidéo ne s'adressent pas seulement aux artistes, mais aussi aux commissaires et aux institutions intéressés par l'utilisation du médium. Le rapport annuel indique qu'il y a eu 2 600 invités aux Rencontres ouvertes à l'ICC.

Collaboration wallonne

Bien que l'ICC soit situé en Flandre, la collaboration avec la scène artistique wallonne est fructueuse. Les membres du Groupe CAP de Liège visitent l'ICC à plusieurs reprises et réalisent plusieurs vidéos dans le studio de production de l'ICC, dont Une Poussière dans l’œil (1975) de Jacques Lennep et L’ombrelle descendant un escabeau (1976) de Jacques Louis Nyst. De nombreuses vidéos réalisées dans le studio de l'ICC sont mises en avant par Flor Bex dans le cadre d'événements tels que les Rencontres ouvertes de la vidéo. Parmi les artistes flamands, des réalisations de Frank Van Herck et de Lili Dujourie sont diffusées par la RTBF (Radio-Télévision belge de la Communauté française) dans le cadre de l'émission Vidéographie créée par Robert Stéphane. À la fin des années 1970, des changements politiques en Belgique entravent les collaborations entre la Flandre et la Wallonie et les échanges entre les deux communautés linguistiques se réduisent.


CONCLUSION

Tout au long de cet article, essentiellement concentré sur trois éléments différents (l’institut, la technologie et la géographie), j'ai discuté de l'environnement au sein duquel l'ICC a favorisé l'émergence de l'art vidéo en Belgique. En rassemblant les différents articles de cette publication, le lecteur constatera qu'il n'y a jamais de récit complet. D'autant plus qu'il y a toujours des rencontres, des événements et des faits qui n'ont pas été documentés. Cela dit, j'en suis venue à admirer le caractère informel de nombreux événements et manifestations. Malgré le rôle international important de la Belgique dans le domaine des arts, l'art vidéo, et même l'art moderne, n'y ont pas été accueillis à bras ouverts. Il y avait très peu de budget et beaucoup de passion et de tracasseries administratives. Nous avons sans doute pu apprendre une chose ou l’autre de cette histoire : la volonté de créer un institut des arts démocratique et accessible à tous, l'espoir de nouvelles possibilités avec l'émergence d'un nouveau médium dans les arts, le troc de la peinture d'une camionnette contre une caisse de bière et l'échange avec des systèmes de pensée non occidentaux. Il est difficile d'imaginer ces esprits inventifs aujourd’hui sans ressentir un sentiment de nostalgie pour l'utopie que représentait la vidéo à l'époque.

BIBLIOGRAPHIE

Debbaut, Jan, 1976. « Some notes on video art in Belgium » in Studio International, n° 981, vol. 191, pp. 273-275.

Debbaut, Jan, 1977. « Videokunst heeft nog geen plaats gevonden » in Streven, n° 31, p.55.

Glusberg, Jorge, 1973. Kunstsystemen in Latijns Amerika. Antwerpen : Internationaal Cultureel Centrum.

Pas, Johan, 2005. Beeldenstorm in Een Spiegelzaal : Het ICC En de Actuele Kunst 1970-1990. Leuven : Lannoo Campus.

« Vijfde Open Encounter on Video »: Internationaal Cultureel Centrum, 1975. Archives ICC, M HKA.

1For a detailed description of the founding of the institute, see Beeldenstorm in een spiegelzaal by Johan Pas.
2One of the other candidates was Jan Hoet, who later became the founder and director of SMAK in Ghent. His application was rejected because documents were missing.
3As we will see later, he also purchased material from Jorge Glusberg, who owned a company that produced video material.
4For more information on the Walloon video scene, I would like to refer to the article by Dagmar Dirkx.
An essay by Erien Withouck
The 1970s

Commissaires
Dagmar Dirkx, Niels Van Tomme

Recherche
Dagmar Dirkx, Sofie Ruysseveldt, Erien Withouck

Recherche d'images
Emma Vranken, Daniel De Decker

Edition de texte
Anthony Blampied, Dagmar Dirkx, Inge Coolsaet, Laurence Alary, Niels Van Tomme, Björn Gabriëls

Traductions
Gorik de Henau (NL), Anne Lessebi (FR), Björn Gabriëls (EN)

Coordination du site web
Emilie Legrand

Conception et graphisme
Studio Le Roy Cleeremans

Website
Waanz.in

Éditeur
Niels Van Tomme / argos vzw

Archives
M HKA / ICC, New Reform Gallery / Roger D’Hondt, KMSKB, BOZAR, Art & Actualité, Jacques Charlier, Joëlle de La Casinière, Eric de Moffarts, Geneviève van Cauwenberge, argos, SONUMA

Bibliographie
Johan Pas, Beeldenstorm in een spiegelzaal. Het ICC en de actuele kunst 1970—1990, Lannoo Campus, 2005, 300 p. Jean-Michel Botquin (dir.), Le jardin du paradoxe. Regards sur le cirque divers àLiège, Yellow Now / Côté Arts, 2018, 448 p.

Numérisation
Onno Petersen, D/arch, CINEMATEK, VECTRACOM

argos remercie
Andrea Cinel, Anne-Marie Rona, ArtTouché, Chris Pype, Dominique Castronovo, Eric de Moffarts, Evi Bert, Guy Jungblut, Jean-Michel Botquin, Joanne Jaspart, Katarzyna Ruchel-Stockmans, Lastpost / Fabri3Q, Leen Bosch, Liesbeth Duvekot, Maryse Tastenhoye, Nadja Vilenne, Sandy Reynaerts, Veronique Cardon et tous les artistes, commissaires et chercheurs qui ont participés au projet de recherche

argos c'est
Amit Leblang, Anaïs Bonroy, Anne Leclercq, Dagmar Dirkx, Daria Szewczuk, Dušica Dražić, Eden Lamaizi, Femke De Valck, Francisco Correia, Guy Verbist, Hadrien Gerenton, Iakovos Sierifis, Indigo Deijmann, Inge Coolsaet, Isaac Moss, Jana Van Brussel, Jonas Beerts, Julie Van Houtte, Julia Wielgus, Katia Rossini, Katoucha Ngombe, Kevin Gallagher, Kianoosh Motallebi, Laurence Alary, Mar Badal, Maryam K Hedayat, Mélanie Musisi, Natalya Ivannikova, Niels Van Tomme, Rafael Pamplona, Riet Coosemans, Sander Moyson, Stijn Schiffeleers, Viktor Simonis, Yoko Theeuws

rile c'est
Chloe Chignell, Sven Dehens

argos remercie le conseil d'administration
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